Tête de pont des armées privées : Wagner prend pied en Afrique
Par François Charles
Depuis que les nouveaux maîtres du Mali, apparemment décidés à s’autonomiser de la tutelle néocoloniale française, ont annoncé avoir demandé l’aide d’une armée privée Russe appelée Wagner, pour les aider à mettre en oeuvre la sécurité du pays, le nom du célèbre musicien est sur toutes les lèvres. Pas pour les mêmes raisons…
Qu’en est-il vraiment ?
qu’est ce exactement que ce groupe militaire ?
qui sont ses commanditaires ?
Les armées privées sont-elles une solution pour rompre avec le néocolonialisme ?
Autant de questions que font poser cette décision des militaires maliens.
Wagner, une volonté politique de Poutine
Dans la guerre commerciale que se livrent les pays les plus riches pour la prédation des richesses au niveau mondial, il est un secret de polichinelle que ce sont toujours les rapports de force qui, au final, régissent les « relations économiques et diplomatiques ». Il suffit d’observer l’évolution des recherches en géopolitique qui ne parviennent même plus à suivre leurs objets de travail tant les guerres, larvées ou déclarées, bousculent sans cesse les frontières et les pouvoirs en place, là où se concentrent les ressources.
Dans cette concurrence sans merci pour l’accaparement des matières premières, rares ou non, l’utilisation des milices privées, véritables armées de mercenaires, terriblement « efficaces » parce que sans commandement supérieur, n’est pas , loin de là, une nouveauté.
On sait que les USA y ont eu largement recours durant la guerre contre l’Irak et surtout après, durant la longue « tutelle » qu’ils ont exercé sur le pays.*
La plus connue de ces armées privées utilisées par les USA est bien sûre celle appelée Black Water dont les « exploits » ont même été, à plusieurs reprises, portés à l’écran.
Dans cette course violente à l’accès aux richesses, on pouvait imaginer que d’autres puissances, n’entendant pas se faire centrifuger et mettre hors jeu par les USA, ou d’autres pays d’Europe ou d’Asie, allaient à leur tour se mettre dans la boucle.
C’est ainsi que dès 2012, Poutine se fendait devant la Douma d’une déclaration tout à fait claire et prémonitoire : « une corporation d’entreprises militaires privées serait un outil efficace pour réaliser les objectifs nationaux sans faire appel à la participation directe de l’Etat russe »
Poutine souligne là quelques avantages majeurs du recours à ces firmes appelées aussi « contractors ».
Le premier de ces avantages est d’ordre « diplomatique ». En effet, chaque puissance engagée dans un conflit armé « fait comme si », comme cela s’est produit en Syrie lorsque l’aviation US, tout à fait informée, bombardant un régiment de mercenaires causant 300 morts et faisait surtout « comme si » elle ne savait pas qu’il s’agissait des hommes de Wagner roulant pour Poutine. Une simple excuse de l’état major US suffira à passer l’éponge. Un grand avantage.
Le second point positif, pour les gouvernements, est celui concernant les opinions publiques. On le sait, qu’il s’agisse de la guerre américaine au Vietnam ou de l’occupation russe en Afghanistan, les « morts aux combats » des armées nationales pèsent considérablement sur le soutien ou non que les populations peuvent accorder à une aventure guerrière extérieure. Or, bien que victimes de guerres commanditées par les états, les soldats tués au cours des opérations militaires menées par ces firmes privées contractuelles ne sont comptabilisés nulle part puisque sans existence légale.
Combien ça coûte ?
Pendant la guerre en Syrie, tous les médias du monde ont, le plus naturellement du monde, rapporté que la Russie était très présente sur le terrain et apportait un soutien militaire appuyé aux troupes restées loyales à Bachar. Or, si la Russie a bel et bien été présente en Syrie durant le conflit, à l’inverse des USA, elle n’y a jamais été officiellement engagée, ce qui lui a évité d’une part de rendre des comptes à son opinion publique et de risquer, d’autre part, une escalade militaire, notamment avec les USA.
C’est pourtant par milliers qu’ont été engagés des paramilitaires russes appartenant notamment au groupe Wagner bien sûr, mais aussi à d’autres firmes comme Vegacy ENOT, Vostok Battalion…
En dehors de la Syrie, pour y défendre ses intérêts, la Russie a également dépêché ces contractors sur le territoire Lybien, après que la guerre menée par Sarkozy, les USA et l’Angleterre ait laissé un champ de ruines et la guerre civile.
Comme par « hasard » on y retrouve les mercenaires de Wagner aux côté du général Haftar, allié de Poutine, et de son « armée nationale lybienne », pour lequel ils ont joué un rôle prépondérant en protégeant, comme en Syrie pour Bachar, les sites de production du pétrole et l’acheminement vers les ports d’exportation.
Formation, recrutement, aide logistique, protection…beaucoup de similitudes entre toutes ces opérations sauf une exception, pour la Libye. En effet, en Libye, pour une des toutes première fois, on voit Wagner s’engager dans une offensive militaire de grande ampleur dans ce qu’il a été convenu d’appeler la bataille de Tripoli.
En réalité, toutes ces participations, pour être immédiatement rentables a leurs commanditaires servent aussi de marketing à échelle réelle : La preuve par le terrain.
Ainsi, nombre de gouvernements, au vu des « résultats » obtenus par ces firmes contractuelles, eux-mêmes en recherche de sécurité économique et politique, se voient littéralement démarcher par des « commerciaux » salariés de ces firmes. On rencontre de plus en plus d’exemples de ces pays ainsi démarchés, quasiment au grand jour, tant sur le continent africain qu’en Amérique latine.
Depuis sa création, Wagner, pour ne parler que de celle ci, a été vue intervenant d’abord en Ukraine, puis en Syrie, en Libye, démarchant ses « produits » au Vénezuela, en Mozambique, en opération active en Centrafrique où elle concurrence les militaires français…et au Mali où son intervention est désormais d’une actualité brûlante.
Contrairement à ce que croient certains naïfs ou voudraient le faire croire d’autres, beaucoup plus cyniques, Poutine n’est pas plus « l’ami de l’Afrique » que du continent latino-américain ni de pays nulle part ailleurs. Utilisant un bras armée privé, il ne fait que défendre les intérêts du grand capital russe et ses intentions, cent pour cent néocoloniales, sont essentiellement prédatrices.
Pour faire avancer ses pions là où il n’avait pas accès jusqu’à aujourd’hui, il utilise une méthode implacable : rendre ceux qui font appel ses services totalement dépendants de l’appui de ses bandes armées tant au niveau des ressources, du maintien de l’ordre intérieur, de la sécurité extérieure…pieds et poings liés. Retour à la case départ interdit !
A ceux qui s’imaginent avoir trouvé là une baguette magique pour se débarrasser de l’impérialisme français il faut dire, qu’une fois dans la gueule du loup, ils feront l’objet d’un racket faramineux. Qu’on en juge : « En Syrie Wagner a passé un contrat avec Assad par lequel 25% de la production de pétrole de tout site libéré lui revient gratuitement. »
« Au Soudan Wagner a offert ses services au pouvoir en place en change d’un droit de prospection et d’exploitation des mines d’or du pays »
« même chose en Centrafrique où les mercenaires de Wagner contrôlent l’accès aux mines d’or et d’uranium des zones sous contrôle de Touadera. »
« Aujourd’hui Wagner est en train de négocier le même type de contrat avec le Mali… »
(Ahmad Nougbo. FB. 28 sept 2020)
Il est clair que de telles dispositions visent à mettre les pays qui contracteront avec ces armées sous une régime de tutelle féroce pour des lustres et des lustres.
A l’heure où, en écho au procès au Faso, résonne à nouveau le nom de Sankara, comment ne pas tenir compte une seule seconde de ce qu’ils nous a laissé en termes de lutte pour l’indépendance à tous les niveaux.
Comment imaginer, pour chasser le prédateur français, pour se débarrasser de la françafrique, se jeter dans les serres d’un autre prédateur tout aussi avide et cruel ?
La richesse du monde, et son développement actuel, se trouve sur le continent, dans son sol et son sous-sol. Point besoin de mercenaires cupides pour accéder à l’indépendance, elle ne peut se faire que par les africains eux-mêmes, seuls.
* « La privatisation de missions habituellement prises en charge par l’état ne touche dorénavant plus seulement le secteur économique, mais également les questions de défense et la gestion de la politique extérieure. La libéralisation des structures étatiques a rendu possible l’éclosion de ces sociétés. Censées combler les les défaillances des armées, elles prennent aujourd’hui une importance croissante dans la conduite des affaires militaires. » (LVSL. Ewen Bazin. 12 aout 2020
Source: L’Autre Afrique