Par François Charles 

Un cadre vermoulu

C’est ce dimanche 28 janvier que, contre la CEDEAO, est advenu le coup le plus médiatique, à savoir que les putschistes des trois pays de l’Interland Mali, Niger et Burkina ont annoncé conjointement leur décision de rompre avec l’institution.

De longue date, dès après les indépendances, dans cette Afrique de l’Ouest, des tentatives d’intégration avaient vu le jour, sans jamais en voir aucune aboutir vraiment. Le premier jalon de cette dynamique, hormis la zone du franc CFA créée en 1945 et jusqu’à aujourd’hui totalement manigancé par l’impérialisme français, sera à l’initiative du chef d’état libérien William Tubman, qui aboutira à un premier regroupement réalisé en 1964, portant sur un accord économique avec la signature de la Guinée, la Sierra Léone, la Côte d’Ivoire et le Libéria.

Il était bien normal, pour une des régions la plus jeune et la plus peuplée du continent, presque la moitié des africains vivent en effet en Afrique de l’Ouest, découpée selon des frontières héritées de la colonisation, pour la plupart absurdes et obstacles au développement, il était normal donc, que les états qui la composent aient toujours cherché une intégration, sinon politique au moins économique.

Il faudra pourtant attendre une nouvelle campagne, impulsée cette fois, par le général Yakubu Gowon, chef d’état du Nigéria et le togolais Gnassingbé Eyadéma, qui aboutira en 1975 au traité de Lagos, acte de naissance de la CEDEAO.

Si la volonté d’intégration économique des pays de la zone a toujours été considérée comme tout à fait légitime, il n’en ira pas de même, en revanche, du glissement de ce groupement a opéré vers un rôle de police tant au plan de l’éthique, de la politique, que militaire, qui n’aura pas manqué de poser problème, aux pays concernés et à la pérennité de la structure elle-même.

Du bluff et des rodomontades

En fait, la mise au défi par les militaires putschistes nigériens a montré les limites politiques de cette communauté et son impuissance totale, à la fois sur le terrain des menaces militaires comme sur celui des sanctions économiques. En effet, non seulement, les militaires qui s’étaient portés au pouvoir se sont ouvertement moqués des remontrances et des “mises au pied du mur” mais, après avoir fourni quelques drapeaux russes et organisé quelques manifestations anti-françaises de circonstance, ils n’ont obéi à aucune injonction, notamment celle concernant la libération du président déchu, “précieusement” gardé prisonnier. Un affront majeur qui a vraisemblablement sonné la fin de cette CEDEAO telle qu’elle avait vécu jusqu’à ce jour.

Déjà, dans la mesure où leurs condamnations respectives n’avaient été suivies que de très peu d’effet, les coups d’états militaires au Mali et au Burkina Fasso, avaient mis à mal l’autorité supposée de ce regroupement que beaucoup, dans la Région, ne reconnaissaient déjà plus vraiment et que les opinions publiques avaient  rebaptisé “syndicat de chefs d’état”.

Une géométrie variable largement rejetée

Par delà sa complaisance appuyée et permanente à l’égard de ce qu’il est convenu de nommer l’Occident, dont les USA, l’UE et tout particulièrement les anciennes puissances colonisatrices comme la France, Il y a sans aucun doute plusieurs raisons qui président à l’obsolescence en cours de cette ODCEAO et il faut mettre en exergue les deux principales qui apparaissent aux yeux de tous et, notamment des opinions publiques, comme les principales.

Dans le rôle qu’elle s’est attribué, de surveillance de la morale politique, de l’éthique et de la trop fameuse “bonne gouvernance” des pays qui la composent, le moins qu’on puisse dire est qu’elle se montre dure avec les “vilains” et douce avec les “amis”. Dans un environnement où les manquements à la démocratie sont légion; où les droits démocratiques les plus élémentaires sont régulièrement bafoués, voire non advenus, où la prévarication est monnaie courante; où, à l’instar de la Côte d’Ivoire la valse des troisièmes mandats bat la mesure et enfin, où, du Mali, au Burkina et au Niger, en passant par la Guinée et le Gabon et qui y va aussi de son coup d’état-maison, les putschs semblent être devenus monnaie courante, ce “syndicat des chefs” pratique la méthode des “deux poids, deux mesures”.

Dans le sillage de Macron, on voit d’une part la CEDEAO “condamner fermement” le putsch au Niger, le président du Nigeria, président en exercice de la Communauté, menaçant les putschistes d’une intervention militaire, de sanctions économiques et même de blocus quand, d’autre part, on le voit se montrer très “compréhensif” à l’égard du renversement de la clique Bongo au Gabon par…les militaires ! Les intérêts français étaient sans doute moins menacés au Gabon qu’au Niger…

Putschs, troisièmes mandats et… Sénégal, le coup fatal !

Lorsque, arguant des graves atteintes à la démocratie, la CEDEAO prétend intervenir au Niger pour mettre fin au putsch que ne tient-elle pas les mêmes propos à l’encontre de Ouattara, embarqué dans un troisième mandat ? Pourquoi aucune menace d’intervention ?

Certes, il n’est pas certain que les apprentis putschistes favorisent en quoi que ce soit la vie et les droits des populations et des travailleurs du Niger, pas plus qu’au Mali et au Burkina, sans doute même au contraire, mais en vérité, quoi de plus violent pour les populations, les travailleurs et la jeunesse, que le comportement d’un Alassane Ouattara, bafouant, encore une fois, les droits démocratiques élémentaires, lui dont le premier mandat, on s’en souvient très bien à Abidjan, avait démarré à l’abri de l’armée française, dépêchée par son Sarkozy, et dans le sang versé des protestataires ?

Niger condamné, Côte d’Ivoire pardonnée…deux poids deux mesures.

Idem pour la Guinée qui échappe, elle aussi, aux foudres de la CEDEAO. Pourquoi donc ? Serait-ce grâce à la déclaration de Mamadi Doumbouya, chef des militaires guinéens, à la tribune des Nations Unies :”La Guinée n’est ni anti-française, ni anti USA, ni anti Russe, elle est tout simplement guinéenne et donc pro-africaine” ? Une grande performance diplomatique, assurément.

Toutefois, cette prudence officielle affichée par les militaires guinéens ne saurait cacher que la Guinée est aujourd’hui, par sa position géographique, le seul précieux filet d’air économique indispensable au Mali et au Niger, tous les deux enclavés.

Il n’est un secret pour personne que Conakry est, pour ainsi dire, la seule porte d’entrée des importations maliennes et nigériennes permettant de contourner le blocus. De la même manière, il ne faut pas oublier que Doumbouya, dans sa déclaration à l’ONU, avait bien précisé : “qu’il n’était pas exclu que la Guinée, si elle se trouvait acculée par la communauté internationale, pourrait décider de rejoindre l’AES.” Autrement dit, une menace à peine voilée et un caillou supplémentaire dans la chaussure de la CEDEAO. (AES : alliance des états du sahel, fondée par les trois frondeurs)

Enfin, coup de poignard ultime dans le dos de la moribonde, les convulsions grotesques de fin de mandat orchestrées par Macky Sall au Sénégal qui la laissent quasiment muette. Sauf à vouloir ignorer que toute cette mascarade autour d’un vrai-faux troisième mandat, cette course éperdue à un candidat à sa botte, puisse probablement déboucher sur des troubles graves dont, encore une fois, les populations seront les victimes, force est de constater que l’on assiste là, à une de ces pantalonnades qui ne prête qu’à rire.

CEDEAO en, putschs en série, perspectives.

 Quoiqu’on en dise et quels que soient les profits records de Total Energie, aujourd’hui encore en prévision, ce démantèlement en cours de la CEDEAO, bien que plus ou moins attendu, est certes un mauvais coup pour les intérêts français en Afrique qui, après l’échec définitif de la canonnière consommé au Mali, Niger et Burkina, devraient réorienter leur protection différemment, vraisemblablement sous la forme des milices militaires privées, françaises, comme le pratique déjà Total Energie dans la corne de l’Afrique.

Un mauvais point pour la France, mais pas la cause.

En réalité, loin d’être liées au recul de l’influence militaire de la France dans la région, ces turbulences, qui affectent à la fois les pays de la Région et donc, par voie de conséquences, la CEDEAO elle-même, sont le fruit de la concurrence violente que se livrent aujourd’hui les impérialismes sur le terrain économique. Cette concurrence se traduit par la course effrénée aux ressources rares, indispensables à leur développement pour les uns et au maintien de leurs positions acquises pour les autres. Les guerres n’étant que le prolongement de la diplomatie par d’autres moyens, l’Afrique, encore une fois, est le théâtre de ces affrontements inter-impérialistes dont elle ne sera, encore une fois, que la victime et la chair à canon.

Et, malheureusement, tous ces putschistes, dont certains osent même se revendiquer sans rire de Thomas Sankara, ne sont que les marionnettes des potentats locaux eux-mêmes prêts, comme ils l’ont toujours fait, à se vendre au plus offrant pour un plat de lentilles. Hier, ces classes dominantes se soumettaient et livraient les pays à la France, à l’UE, demain ce sera aux USA, aux affairistes Chinois ou turcs ou encore aux maffias-business de Poutine. Et, il suffit d’observer autour de soi pour s’apercevoir qu’aujourd’hui, c’est déjà demain.

Par delà leurs discours aux accents parfois anti-impérialistes et panafricanistes, leur projet n’est nullement libérateur. Ils ne font que détourner et encadrer les colères à leur profit.

La jeunesse, les femmes et les travailleurs, celles et ceux qui produisent les richesses et sont l’avenir du continent, par leurs révoltes permanentes bousculent souvent l’état des choses et parviennent parfois à précipiter des évènements, mais échouent toujours à la fin, soit sur la répression, soit sur les trahisons.

En dehors des vieilles politiques et des aventures militaires, de “y en a marre” à “du balais”, ces populations montrent clairement qu’elles cherchent leur voie, et qu’elles ne “lâcheront pas l’affaire”. Hier au Burkina, aujourd’hui à Dakar, elles sont les seules véritables ennemies des pilleurs de  richesses et de leurs complices, des fauteurs des guerres et des crimes qui ravagent le Continent.