Tunisie, 10 ans après, rien n’a changé ?
Alors que, contre la vie chère et le chômage, les manifestations de rue se multiplient depuis tout ce mois de janvier, la population exige aussi la fin des inégalités régionales tout comme, il y a dix ans, la liberté et la dignité.
Par François Charles,
L’Autre Afrique
Un mouvement enraciné
A propos du soulèvement populaire en Tunisie, le premier de ceux qu’on a appelé « les printemps arabes », on entend souvent dans les médias, on peut les lire aussi, des réflexions à tonalité totalement désabusée du genre : « Eh bien voilà, c’était bien la peine, toute cette énergie pour en arriver là »….ou encore : « tout ça pour rien ».
Il est évident que la révolution tunisienne n’a pas encore répondu aux espoirs qu’elle a soulevé, pour autant, ce n’est pas un hasard si ceux qui nous assènent aujourd’hui son « échec » sont les mêmes qui, dès son début, se méfiaient de sa « violence et du totalitarisme qu’elle portait en elle…. ».
Par delà leur crainte panique des mouvements populaires, ce que ne peuvent comprendre les prophètes de la « désillusion » et de « l’échec », c’est qu’une révolution, aussi magistrale que celle initiée par le peuple tunisien, ne s’arrête pas d’un coup de baguette magique ni même sous les « pressions internationales » des puissants. L’histoire a suffisamment montré que le fleuve révolutionnaire ne regagne jamais aisément son lit d’origine.
Contre, tous les moyens sont bons
Les gouvernements qui se sont succédés tout au long de cette décennie, sans exception, se sont tous montrés être de véritables marionnettes du FMI (Fonds monétaire international). Pour montrer leur soumission aux institution internationales, on peut même dire qu’ils sont allés au delà de ce qui était attendu. Toutes ces années, de fil en aiguille, ils ont ainsi décidé des mesures aux pires conséquences pour la population. Depuis des lustres, notamment en Afrique du nord et subsaharienne, on connaît malheureusement la mécanique infernale des institutions Banque Mondiale et FMI. L’une « prête », l’autre exige les remboursements de la Dette et des intérêts avec, comme « prix » à payer, la destruction des services publics de santé, de protection sociale, de l’enseignement, de l’énergie, des transports…
Ils en sont même ainsi arrivés à annoncer la suppression des subventions publiques aux denrées de base !
Ces gens sont désormais disqualifiés. Aujourd’hui chef du gouvernement, Hicham Chichi au premier chef, qui ne trouve rien de mieux, pour sauver une chance éventuelle aux présidentielles, que se réfugier dans les bras des islamistes d’Ennahda, sans oublier le petit groupe « coalition de la dignité ». Quand on sait que nombre des leaders de ces groupes sont aujourd’hui emprisonnés pour évasion fiscale et corruption…. »no comment ».
Un processus ininterrompu
Les jeunes, les paysans et les travailleurs tunisiens savent très bien comment et pour qui gouvernent les dirigeants actuels. Cette vigilance et cette compréhension, qui gênent tant les gouvernants, et qui se manifestent aujourd’hui, sont des acquis majeurs de la révolution de 2011. C’est cette dynamique qui préside aujourd’hui à ces nouvelles mobilisations massives et notamment celle qui a conduit celle du 23 janvier vers le siège de la Banque centrale à Tunis où l’attendaient les forces de répression et les tirs de gaz lacrymogène.
Comme toujours, dans chaque situation de ce type, les états riches, les grandes puissances, la bourgeoisie nationale…tous convergent pour tenter de contrer la révolution et sauvegarder l’état des choses.
Il est clair que, aujourd’hui, non seulement cette coalition momentanée, d’intérêts communs, n’est non seulement pas parvenue à ses fins mais qu’à l’inverse, pour sa survie, les choses ont empiré.
Leur gestion pro FMI/Banque mondiale a conduit à une situation économique catastrophique, et de fait, explosive, un taux d’endettement à 90% du PIB.
Sachant, de plus, que l’économie parallèle représente, au bas mot, plus de 50% de l’économie globale, que le chômage est à son plus haut niveau et que la corruption fait rage à tous les niveaux, dans tous les secteurs de l’économie, de la finance et de la justice, on voit aisément le brûlot social et politique mis en place par la classe politique qui cherche à se maintenir aux affaires.
La réalité montre que c’est bien le processus révolutionnaire que se poursuit. Il suffit pour cela de mesurer l’ampleur des mouvements sociaux, de l’influence et de l’audience du syndicat UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens), il suffit aussi et surtout d’observer aussi le contenu des revendications portées par le mouvement : revendication de justice sociale, contestation de l’islam politique et de tous ceux qui se sont opposés à la révolution, éradication de toute la corruption et distribution, sous contrôle, des richesses.
Ni l’islam politique, ni les résidus de l’ancien régime pas plus que les institutions internationales, n’ont réussi à ce jour, à faire rentrer cette révolution dans le rang, loin s’en faut.