L’année 2024 en Afrique commence en grande pompe avec le déroulement de l’évènement sportif le plus suivi du continent, la Coupe d’Afrique des Nations de football. Pour cette nouvelle édition en Côte d’Ivoire actuellement au stade des matchs à élimination directe, sa bonne organisation constitue un enjeu majeur pour la fédération ivoirienne et le président Ouattara.

Les liens entre pouvoir et football sont nombreux. Le mois dernier, le président sortant du Liberia et ancienne star du Paris Saint-Germain, George Weah a reconnu sa défaite face à son rival de 2018 Joseph Boakai, il est important de rappeler l’engagement politique, économique et social dont font preuve les footballeurs africains pendant et à la suite de leur carrière.

A travers leur réseau et leur fortune, ils s’illustrent par un dynamisme important et un apport non négligeable dans de nombreux domaines et sont récompensés dans les plus grandes scènes du football mondial. C’est le cas du Sénégalais Sadio Mané qui a été nommé vainqueur de la 1ère édition du prix Socrates qui récompense désormais chaque année le footballeur ayant eu le plus grand impact social et humanitaire en-dehors des terrains. L’ancien attaquant de Liverpool est un exemple-type de l’influence de ces sportifs de haut niveau mondialement connus sur les territoires africains dont ils sont souvent originaires.

Le sport est, à n’en pas douter, un levier de développement pour les pays et un atout de soft power. Par ailleurs, il est également un moyen d’ascension sociale rapide pour des familles aux conditions de vie difficiles qui par l’intermédiaire d’un footballeur dans le cercle peuvent changer de classe sociale via un contrat. C’est particulièrement le cas pour le football qui génère énormément de profits et où les footballeurs de haut niveau sont très bien payés. Avec des sommes astronomiques parfois. Ces sommes sont parfois réutilisées par les footballeurs dans des dynamiques de développement territorial.

Sadio Mané, l’exemplarité sur les gazons comme au village

L’exemple de l’influence de Sadio Mané sur la situation de son village est l’un des cas les plus médiatisés. A Bambali, au sud du Sénégal, Mané a prouvé le poids et le pouvoir qu’il pouvait avoir sur sa commune en rénovant et modernisant les infrastructures les plus importantes. Dans ce village de 2000 habitants, où les services publics manquent souvent, il y a construit un hôpital, une station-service et un bureau de poste pour les locaux. Afin de dynamiser Bambali et la rendre attractive, un lycée a été ouvert et une antenne 4G installée.

Cet attachement aux territoires et la volonté de le développer est un caractère que l’on retrouve souvent en Afrique de la part d’élites financières qui prennent eux même l’initiative de développement. Une réelle stratégie a été mise en place de ciblage des besoins des populations et des solutions ont été trouvées pour y répondre. C’est le symbole d’une société civile engagée dans des causes locales importantes.

L’humanitaire et l’action sociale omniprésente 

Football et humanitaire riment souvent. La zphilanthropie est très courante chez les footballeurs et est un bon moyen d’investir son argent avec satisfaction. Quasiment toutes les stars du foot en Afrique ont des fondations à leur nom.

Les États encouragent ces donations avec des avantages fiscaux. Accès aux soins, à l’éducation, à une alimentation saine… les footballeurs tentent de répondre à leurs échelles aux enjeux qui touchent le continent. De nombreuses fondations portent cette responsabilité comme la Kanu Heart Foundation fondée par le nigérian Nwankwo Kanu, également ambassadeur de bonne volonté pour l’UNICEF, saluée par les autorités locales comme l’Ooni d’Ifé. La Kanu Heart Fondation a pu sauver la vie de 1000 enfants en permettant leur transport pour les opérer en urgence. La fondation Victor Wanyama du nom du joueur kenyan réalise également de nombreuses actions en Afrique de l’Est. Elle a offert les frais de scolarité à 14 jeunes méritants qui ont pu intégrer les plus prestigieux lycées du pays. C’est la deuxième cohorte qui bénéficie de ce programme pour favoriser l’égalité des chances dans les études. On remarque donc la multitude d’actions possibles, autres que les matchs de gala réunissant des personnalités pour amasser des fonds.

Prenons l’exemple du ghanéen Stephen Appiah qui a fondé sa marque de vêtements dont les bénéfices sont versés à sa fondation homonyme qui fournit du matériel médical à des zones reculées du Ghana. Son initiative est innovante et peut s’adresser à un plus vaste public, celui de la mode.

Enfin, certaines stars du ballon rond incitent par leur action d’autres grands groupes à les rejoindre dans des actions caritatives. C’est le cas de John Utaka, qui a un partenariat entre sa fondation et la Banque Centrale du Nigeria pour payer des bourses de scolarité à des étudiants issus des classes populaires. Football et fondation caritative sont donc intimement liés, les footballeurs sont des acteurs à l’échelle locale de changements sociaux. Néanmoins, leur influence peut également s’étendre à des échelles plus importantes.

Un véritable rôle de représentation des Etats, la passe décisive  d’Antonio Rudiger ou de Lucas Radebe

Si l’humanitaire est le domaine d’expression de la fortune des footballeurs les plus connus, certaines actions peuvent être valorisées par les Etats qui font de ces footballeurs de véritables ambassadeurs nationaux. Avoir un ancien footballeur intégrant un programme des Nations-Unies est pour eux une fierté et un poids diplomatique non négligeable. Les footballeurs peuvent assister à des galas de charité et même des sommets plus officiels. C’est le cas d’Antonio Rudiger qui était  présent à un sommet entre Royaume-Uni et Sierra Leone, le pays d’origine de sa mère, à l’époque où il jouait pour le club londonien de Chelsea. Ambassadeur de la Sierra Leone, Rudiger a offert un chèque de 101 000 dollars au président Julius Maada Bio pour le dispositif « Free Quality Education » qui promeut l’éducation dans le pays.

Dans des propos relayés par la BBC, le joueur s’affiche en ambassadeur de son pays à l’international et c’est une fierté pour le président sierra-leonais qui peut se servir de l’exemple de Rudiger pour améliorer ses partenariats et la promotion du pays.

« Vous pouvez compter sur nous et n’hésitez pas. Nous sommes ici pour soutenir votre vision et votre programme, en particulier en matière d’éducation. Je suis prêt à prendre mes responsabilités pour changer l’image de la Sierra Leone »

Né à Berlin d’une mère ayant fui la guerre civile au Sierra Leone en 1991, le défenseur allemand est devenu un héros national pour ce petit pays au faible rayonnement qui fait partie des plus pauvres au monde.

Ses mots traduisent le poids diplomatique que peuvent avoir ces sportifs de haut niveau dans les relations internationales de pays en difficulté de développement. Souvent décrié par une partie de l’opinion publique pour leurs salaires astronomiques, on a ici l’illustration qu’un footballeur peut utiliser son aura et sa fortune dans des causes qui dépassent le sport. Plus récemment, Antonio Rudiger s’est distingué en finançant l’opération de 11 enfants du Sierra Leone comme le nombre de joueurs dans une équipe de football. Cela indique aussi la précarité des services de santé dans un pays fortement touché par le virus Ebola.

L’ancien Bafana Bafana Lucas Radebe ayant joué en Angleterre fait preuve d’une conscience sociale nette. Dans un entretien, il affirmait qu’un footballeur avait un devoir d’exemplarité et que son image devait profiter à des causes plus importantes. Son image, justement, profite à la nation arc-en-ciel qui entend développer son soft power.

Puissance régionale établie et membre fondateur des BRICS dont l’importance ne fait que grandir sur la scène internationale, l’Afrique du Sud peut compter sur Lucas Radebe pour son rayonnement. Il est ambassadeur de la FIFA pour SOS Villages d’Enfants et de Special Olympics qui offrent aux personnes atteint de handicap mental la possibilité de faire du sport. Il est également impliqué dans l’organisation de Starfish, un projet Sport for Goodde Laureus ou encore pour Reach for a Dream Foundation ou the Hospice Palliative Care Association for South Africa.

Ainsi, les footballeurs ayant gardé une attache importante à leur territoire et qui veulent y avoir de l’influence sont un faire-valoir de la politique de ces États qui mettent en lumière ces success story. Cela peut passer par des actions caritatives mais aussi par des parcours en politique qui sont souvent scrutés avec attention. Cela passe aussi par des fonctions de représentation à l’échelle continentale comme Michael Essien, ambassadeur pour la paix de l’Union africaine.

Le business pour d’autres, Jay-Jay Okocha en prototype gagnant

Les millions accumulés par les joueurs de football doivent leur permettre une retraite paisible, à l’abri des besoins. La bonne gestion de leur finance constitue tout de même un enjeu et il s’agit pour un footballeur qui n’est pas toujours au fait des contours du monde financier de bien s’entourer. On peut citer de nombreux exemples de joueurs dont la notoriété sportive était établie mais dont la mauvaise gestion leur a coûté une partie de leurs économies. La carrière d’un footballeur dure en moyenne une quinzaine d’années, il faut donc pour eux capitaliser dessus.  C’est pourquoi de nombreux footballeurs investissent leur argent dans l’immobilier ou dans la science comme Mathieu Flamini, ancien joueur d’Arsenal et désormais patron de GF Biochemicals.

En Afrique, c’est l’ancienne star nigériane, Jay-Jay Okocha, connu pour avoir porté les couleurs du PSG au début des années 2000 qui a connu l’une des reconversions les plus réussies. A la fin de sa carrière, le meneur de jeu est retourné dans son pays et est désormais à la tête d’un empire, le groupe Jay Jay Okocha West Africa Limited. Électronique, location de voitures, construction de routes et immobilier, l’ancien international a diversifié son champ d’actions pour atteindre une fortune présumée de 150 millions de dollars selon certains médias. L’homme d’affaires dispose d’une réelle influence auprès de la jeunesse locale et est vu comme un exemple de réussite. Des rumeurs affirmaient un temps sa nomination en tant que ministre des Sports au Nigeria. Okocha aurait pu emprunter une nouvelle voie, comme nombre de stars du ballon rond en Afrique : la politique.

Les politiques oscillent entre appropriation et crainte : les cas Didier Drogba ou Mohamed Salah au radioscope

Les stars du sport et le monde politique en Afrique peuvent être assez proches, les footballeurs ne font pas exception. S’il existe des vrais soutiens de footballeurs à des politiciens comme au Brésil durant la dernière élection présidentielle, on note aussi que les footballeurs pouvaient être instrumentalisés à des fins politiques. Cela tombe sous le sens lorsque l’on voit le nombre de followers de certains, le monde politique a compris que ces joueurs adulés et suivis sont capables de faire soulever les foules.

L’exemple de George Weah qui n’a pas su renouveler la dynamique au Liberia et qui a subi des critiques de la part de la classe politique traditionnelle durant sa présidence montrent les distances que les politiciens de métier veulent installer avec ces « novices » qui leur font de l’ombre car jouissant d’une popularité acquise. Le président du Liberia est pourtant de loin le plus expérimenté en politique parmi les stars du football. Cela traduit une certaine crainte des autorités face à ces acteurs prestigieux dont la conscience sociale amène souvent à la demande de changement et de renouveau dans la classe politique. A raison, les politiciens craignent ces nouveaux membres engagés de la vie publique africaine même lorsque ces footballeurs de renom n’ont pas clairement exposé leurs ambitions politiques.  

Pour preuve, l’élection présidentielle de 2018 en Égypte a été l’occasion d’un fait intéressant puisqu’un joueur de football a été inscrit sur des bulletins de vote et ce à de nombreuses reprises. Bien que la victoire de celui qui est à la tête du pays depuis juillet 2013, Abdel Fattah al-Sissi, était en tout point prévisible, il a été surprenant de voir un autre nom être inscrit sur le bulletin de vote de plus d’un million d’électeurs, celui de Mohamed Salah, attaquant de Liverpool et capitaine de la sélection nationale. Le joueur qui ne s’était pas présenté a fini 2ème. Le contexte politique égyptien et son passé récent est complexe : le printemps arabe a fait chuter Housni Moubarak, et une révolution a fait chuter son successeur légitimement élu Mohamed Morsi. L’arrivée du maréchal al-Sissi au pouvoir marque le retour de l’armée à la fonction suprême.

Déjà élu en 2014 à la présidence de la république arabe d’Égypte, al-Sissi se voyait en tant que président sortant opposé au second tour à l’un de ses anciens collaborateurs, Moussa Mostafa Moussa. Un président sortant vainqueur d’avance, un opposant fantoche… ce sont autant d’éléments qui ont poussé le peu d’Egyptiens venus voter (un taux d’abstention de 58%) à inscrire le nom de Mohamed Salah sur leur bulletin qui a tout de même récolté plus de 3 % des suffrages. C’est ici l’acte qu’il convient d’analyser, le symbole envoyé par ce mouvement et qui témoigne d’une défiance envers les autorités en place et une volonté de changement et de sang-neuf dans la politique en prenant le modèle de réussite égyptienne par excellence, Mohamed Salah. Certains footballeurs africains, adulés pour leur talent et respectés pour leur engagement humanitaire et social représentent des rivaux en termes d’image pour des dirigeants en quête de notoriété.

Pourtant, certains se retrouvent mêlés aux enjeux politiques malgré eux, c’est le cas de Didier Drogba. Légende de Chelsea et capitaine des « Elephants », qui s’est démarqué durant sa carrière par ses prises de positions et ses combats en faveur de la paix ou de l’éducation. En 2006, alors que la Côte d’Ivoire connaît des tensions politiques, les joueurs de l’équipe nationale impulsé par leur capitaine s’opposent publiquement et appellent à la paix. En 2007, il crée la fondation Didier Drogba en faveur de l’éducation et la santé en Afrique, et devient ambassadeur du Programme des Nations Unies pour le développement.  Son poids et son aura le contraignent à un rôle diplomatique et de fédérateur politique malgré son désintérêt proclamé pour une carrière personnelle.

Ce n’est donc pas une surprise si Didier Drogba est invité au palais présidentiel de Laurent Gbagbo peu après son titre de joueur africain de l’année dans un contexte de signature de l’accord de Ouagadougou. L’engagement politique de Drogba se veut neutre même si son père est un proche de Laurent Gbagbo. En 2011, il représente la diaspora ivoirienne dans la commission de vérité et de réconciliation organisé par le président Ouattara à la suite d’une nouvelle crise électorale. Selon ses propos, il craint la récupération politique de son image dont le risque a été cité précédemment. Son combat pour la démocratie a été visible lors de l’élection présidentielle de 2010 où il a sensibilisé au vote et à appeler à le faire dans le calme via l’association Foot’Attitude la population ivoirienne. Didier Drogba est plus que jamais un acteur engagé dans la politique ivoirienne.

A l’échelle internationale, il devient le vice-président de Peace and Sport, organise des matchs de gala et des actions pour la paix et l’inclusion. En 2021, il reçoit le grade de docteur honoris causades universités du Réseau des Universités des Sciences et Technologies d’Afrique. Cela salue ses combats et actions dans l’humanitaire. Malgré ses liens avec le monde politique, il ne s’y imagine pas personnellement.

Le rôle de Drogba dans les tentatives de réconciliation lors de crise ivoirienne et ses efforts à ce sujet ont été reconnus et salués par le Time qui l’a placé dans son « Time 100 » pour les 100 personnalités les plus influentes du monde.

Une autre star du foot africain voit en ce moment a vu son nom circuler du côté d’une possible réorientation vers la politique tant son ambition est grande, même s’il nie cette intention-là. L’actuel président de la FECAFOOT, Samuel Eto’o, connu pour son fort caractère et son talent hors du commun, a réalisé une campagne très médiatisée pour prendre la tête de la fédération de football du Cameroun en battant Seidou Mbombo Njoya, fils du roi des Bamouns, qui fait partie de l’élite camerounaise et jouit d’un immense pouvoir politique et culturel. Semblable à une campagne présidentielle par l’ampleur qu’il lui a donnée, Eto’o a sillonné le pays, rencontré les chefs de localité, visitant écoles et bases militaires et s’est rendu incontournable et très populaire au point où certains lui prêtent des ambitions politiques plus importantes.

Des « ambitions politiques » qui se transforment en « réalités politiques », l’expérience George Weah

L’influence des footballeurs sur le monde politique peut être ponctuelle en Afrique mais peut aussi s’inscrire dans la durée et dans des engagements plus concrets. L’exemple le plus marquant est certainement celui de George Weah, devenu président du Liberia en 2017 après une glorieuse carrière de footballeur et une expérience politique indéniable.

Vainqueur du Ballon d’Or en 1995, la plus grande distinction honorifique individuelle du monde du ballon rond, George Weah est le premier (et le seul) joueur africain à remporter le prestigieux titre. Présenté comme un candidat anti-élite et peu-conventionnel, il a séduit par ses promesses de changement. Plébiscité par la jeunesse, il a pu surfer sur son glorieux passé et son origine modeste dans les bidonvilles de Monrovia. Ce n’est pourtant pas un novice en politique puisqu’il a déjà échoué à la présidentielle de 2005 et était sénateur depuis 2014.

Ces champs d’actions sont vastes et ont apporté quelques résultats au niveau des infrastructures et des études avec la gratuité de l’université. Des manifestations ont émergé demande plus d’actions contre la corruption et le favoritisme dans l’attribution des marchés publics où le Liberia figure parmi les plus mauvais élèves.

Toutefois, dans un pays endetté et touché par l’épidémie d’Ebola et dont l’histoire récente est marquée par deux guerres civiles meurtrières à la fin du siècle précédent, il n’est pas simple de changer en quelques années de si profondes cicatrices.

Candidat à sa réélection en 2023, il est battu par Joseph Boakai et reconnaît sa défaite avec classe.

Les stars du foot s’illustrent ainsi par une grande générosité et un impact très important dans les sociétés africaines. Sport médiatisé par excellence, le football en Afrique a une influence qui dépasse la notion même de sport et ce à toutes les échelles.

Dossier réalisé par RHERBAOUI   Amine
Analyste géopolitique stagiaire – InterGlobe Conseils

RHERBAOUI Amine est étudiant à l’Université Paris Nanterre, étudiant en double licence d’Histoire Géographie et aménagement, il décide en 2022 d’entamer une troisième licence en Administration économique et sociale afin d’acquérir de nouvelles compétences en compré-hension des enjeux internationaux. Il effectue actuellement un stage de professionnalisation au cabinet InterGlobe Conseils.