Professeur Honorat Aguessy : « L’Afrique est la véritable première puissance mondiale »
Décédé ce jeudi à 88 ans, il nous paraît important de partager avec vous, une interview que l’illustre disparu le Professeur Honorat Aguessy avait accordée en 2015 à votre magazine L’Autre Afrique pour relancer le débat du développement de l’Afrique par les Africains à un moment où tous semblent perdre espoir compte tenu des nombreuses difficultés relatives aux pandémies. Il affirmait et confirmait haut et fort que l’Afrique est la véritable première puissance mondiale.
L’Autre Afrique : Bonjour Professeur Honorat AGUESSY, vous êtes le Président du Conseil Mondial du Panafricanisme et Père Fondateur de l’Institut de Développement et d’Echanges Endogènes : deux grandes structures engagées pour la cause du Développement de L’Afrique. Le continent noir est riche de ses terres en grande partie cultivables et de ses ressources humaines. Et pourtant, elle peine à se développer, quels facteurs essentiels sont la cause de cette situation ?
Professeur Honorat AGUESSY : Merci cher rédacteur en chef, merci d’appréhender ce problème. C’est le problème capital pour l’Afrique à l’heure actuelle. Si nous ne comprenons pas cela je ne crois pas que nous puissions aller de l’avant. Alors, je crois que ce qui est à l’origine du non développement c’est le fait de ne pas comprendre ce qui a été dit le 24 mai 1963 par Kwamé NKrumah. Lorsqu’il a avancé à l’adresse de ses trente collègues la phrase suivante : « Si nous voulons chacun aller vers le développement nous ne pourrons qu’échouer. Et certains d’entre nous qui s’y sont essayé ont été bloqué, ont été ramené faut-il parler d’origine, au lieu de départ ». Il a souligné le fait que et lui-même et d’autres qui voudraient chacun se développer ne pourrait qu’échouer et que nécessairement il faut rester ensemble. C’est ensemble qu’à l’heure actuelle on peut développer l’Afrique parce que d’abord avant qu’on ne s’éveille maintenant, les prédateurs étaient à pieds d’œuvre et bien malins ; celui qui pense qu’en tant que Ghanéen, en tant que Togolais, en tant que Sénégalais, en tant que Guinéen, en tant que Malien, en tant que Nigérian même, il pourrait tout seul se développer se trompe. Ah, les prédateurs étaient déjà là bien outillés… etc pour l’acte de prédation. Il faudrait coûte que coûte rester ensemble pour développer l’Afrique d’aujourd’hui.
Depuis des années des mouvements et associations se mettent en place pour redonner vie à l’Afrique, à partir de vos expériences il y a-t-il une nouvelle espérance à nourrir en l’Afrique ?
Ah dès qu’on parle de l’Afrique plus que l’espoir c’est l’espérance qui surgit. Bon, je crois qu’il y a une nouvelle expérience, déjà nous voyons au niveau de ce que nous appelons médias – là où vous rayonnez – nous voyons là où tout est bloqué pour l’Afrique c‘est à dire les médias, la télévision à la face du monde. Nous voyons que « Afrique Médias » a pu prendre les devants et vraiment tel que les animateurs actuels appréhendent le problème nous ne pourrons que réussir. L’essentiel c’est que ici et là, de tel territoire à tel autre territoire chacun sache comment suivre les émissions d’ « Afrique Médias » et d’autres expériences, d’autres initiatives qui ne pourront que renforcer ce qui se fait au niveau d’ « Afrique Médias ».
Les politiques menées au niveau des micro-états ne répondent toujours pas aux défis actuels de l’Afrique d’où la nécessité de donner sens au panafricanisme dans les actions. Dans votre combat, les difficultés contemporaines vécues sur cette voie de sortie pour le continent africain sont-elles les mêmes que celles de l’époque de Kwamé Nkrumah, Marcus Garvey ou Williams du Bois?
Ah ! Vous avez certains qui étaient en communication avec les africains il y a des siècles. Après avoir pu parcourir le monde ils ont pu dire : tout change. Tout change, tout évolue…etc et dans le temps tout se modifie au point de vue modalité. Bon, la bagarre telle qu’il fallait la mener par exemple au XVIIIème siècle n’est pas la même que celle du XIXème siècle. Au temps de NKrumah tel que vous le dites, ce n’est pas la même chose que ce qui pouvait se passer du temps du prétendu esclave Bouckman, ce n’est pas la même chose que ce qui pouvait se passer à Chicago du temps d’Alexander, du temps de Henry Turner en 1893, ce n’est pas la même chose qui pouvait se passer à Atlanta et Georgia en 1895, ce n’est pas la même chose que les problèmes rencontrés à Londres en 1900, les problèmes rencontrés à nouveau à Londres en 1916, problèmes rencontrés lors de la réunion des écrivains africains en 1936. Même quand les grands panafricains se sont réunis à Manchester en 1945 la modalité avait changé en ce moment là ; c’est pour dire que les modalités ne sont pas les mêmes et je crois que surtout depuis le 26 février 1885 je veux dire après cette conférence de Berlin, là où et le jour où on a décidé vraiment de se partager l’Afrique, de donner telle partie à la France, telle partie à l’Allemagne, telle partie à l’Angleterre etc, tout a toujours changé. Donc ce qui s’est passé avec Kwamé NKrumah qui était à la rencontre de Manchester là où il a reçu une délégation de la Gold Coast ce n’est pas la même chose que ce qui se passe maintenant mais le problème cardinal, le problème nodal demeure le même : il faut sauver l’Afrique, il faut sauver l’Afrique et la solution c’est rester ensemble car la micro souveraineté nous détruit, la micro souveraineté détruit l’Afrique et ne nous permet pas d’aller de l’avant.
En avril 2015 vous organiserez le colloque biennal du panafricanisme. Quelle est la thématique retenue pour cette édition et quelle orientation donnerez-vous aux travaux de cette rencontre scientifique ?
Merci, merci, merci de devancer l’événement. Comme vous le révélez aux lecteurs de votre revue, c’est tous les deux ans en avril à la période du départ ad patres de la mort de Kwamé NKrumah le 27 avril 1972, c’est vers cette période que nous réunissons les membres du conseil mondial du panafricanisme. Donc nous faisons tout pour pouvoir rendre hommage le 27 avril de l’année de réunion à Kwamé NKrumah et à tous ses paires, tous ceux-là qui se sont dévoués pour nous, tous ceux-là qui nous ont donné le sens de l’exemplarité etc. S’agit-il des Lumumba, s’agit-il des Nyerere, s’agit-il de tel ou tel, c’est tout cela. Alors le sujet que nous aimerions aborder n’est pas un sujet qui a été choisi par le bureau exécutif mais proposé par telle agence nationale de COMOPA et c’est l’agriculture. Nous avons demandé après la proposition faite par une agence donnée à toutes les autres agences de nous faire connaître leur point de vue, leurs réactions à propos de ce sujet fondamental c’est-à-dire l’agriculture et tout ce qui rayonne autour de l’agriculture. Voilà ce que nous avons pour l’heure l’intention de faire. L’agriculture, bon il faudrait voir laquelle problématique de l’agriculture. Nous comptons sur vous tous, nous comptons sur vous toutes également car il n’y a pas que vous tous ; il y a les femmes qui sont d’un dynamisme admirable.
Professeur que dites-vous du Magazine « L’Autre Afrique » qui soutient que l’Afrique est la véritable première puissance mondiale ?
Ah je ne crois pas que cette revue « L’Autre Afrique » se trompe en mettant l’accent sur le fait que l’Afrique est la première puissance mondiale. L’Afrique l’a été, l’Afrique l’est et l’Afrique le sera. L’Afrique l’a été : vous voyez tout ce qui pouvait se passer je ne dis pas en Egypte seulement mais au royaume de Kouch au sud de l’Egypte, ce qui pouvait se passer cinq millénaires avant l’ère chrétienne tel que l’abbé Henri Baptiste Grégoire peut nous le faire savoir ; comment vraiment ce royaume de Kouch à cent pour cent mélanoderme montrait toute sa force, comment quand meurt le roi c’est à un panel de femmes qu’on confie le soin d’identifier le successeur du roi. Et ce qui est fait par les femmes n’est nullement critiqué. Et celui qui est choisi se rendant à Napata, se rendant à tel devrait dire au nom du dieu unique Amon je promets, je promets… je promets. Donc les promesses tant avec la supervision du dieu unique, des millénaires avant l’ère chrétienne l’Afrique montraient par là sa puissance déjà. De nos jours l’accent est mis sur tout ce qui relève des ressources naturelles. Afrique puissance, bon nous savons que cette Afrique c’est trente millions trente mille km2 de superficie et que, avec cela nous avons de 20 à 35 pour 100 du potentiel hydroélectrique du monde qui est en Afrique, qui appartient à l’Afrique ; nous avons 45 pour 100 de la bauxite du monde, nous avons 50 pour 100 et de l’uranium, et de l’or et du cobalt , et du thorium du monde ; nous avons 55 pour 100 de la manganèse du monde, nous avons 86 pour 100 de ce sans quoi on ne saurait avoir les portables ; ah bon 86 pour 100 de platine, nous avons 90 pour 100 du chrome du monde. Et ce que nous disons souvent à nos sœurs, à nos mères ah c’est 96 pour 100 des diamants du monde en Afrique, 96 pour 100 ic et nun. Bon, il n’y a pas que cela. L’Afrique a montré et ceci par la médiation de ceux qu’on a osé appeler esclaves, l’Afrique a montré des inventions qui ont pu servir au monde entier. La lumière électrique, le morceau de sucre, le téléphone, l’appareil téléphonique, le réfrigérateur, pas mal de choses. Des centaines d’inventions surtout au XIXème siècle puisque avec ce que je viens de dire, c’est avec le prétendu esclave Rillieux que nous avons quand même en 1846 le morceau de sucre grâce à la cristallisation du jus de canne à sucre, jusque là c’était le jus de tel ou tel fruit qui était utilisé pour sucrer ce qu’on voulait sucrer. Avec Miles nous avons eu en 1865 l’ascenseur. L’ascenseur ça vient de l’initiative d’un prétendu esclave et nous avons en 1881 avec Latimer la lumière électrique. Nous avons en 1882 quelqu’un qui a initié des inventions qui lui sont reconnues par les Etats-Unis d’Amérique à savoir Granville Woods. La conception de la possibilité de se joindre à distance c’est à dire parfaire ce qui est fait en Afrique car tout simplement la personne étant à distance vous pouvez vous joindre grâce à un système spécial etc. De toutes les façons, les Etats-Unis d’Amérique lui ont reconnu si non une vingtaine d’inventions. Nous voyons comment avec John en 1887 comment c’est le réfrigérateur. C’est heureux et demain comme les jeunes d’aujourd’hui conscients de ce qu’a été et de ce qu’est l’Afrique, de ce qu’on a fait de l’Afrique et de ce d’aucuns veulent faire de l’Afrique ces jeunes bien conscientisés ne peuvent qu’aller dans le sens de ce que Pline écrivait déjà il y a des siècles, déjà le XXIème siècle « ex Africa semper aliquid novi », c’est de l’Afrique que toujours quelque chose de nouveau va advenir pour le monde entier. Ce qu’il y a de ravissant c’est le mot « semper » toujours c’est de l’Afrique « ex Africa aliquid novi » que quelque chose de nouveau va se présenter, va jaillir pour le monde entier. Bravo pour cette prévision de Pline. Bravo, bravo, bravo ! Nous ne pouvons ne pas aller dans ce sens, nous allons motiver les jeunes pour qu’ils puissent aller dans ce sens et quoiqu’il advienne comme ils iront vers plus de panafricanisme c’est sûr que l’Afrique va réussir. L’Afrique est la première puissance à cause de ce qu’elle détient et à cause également de ses ressources humaines. Certains niaient la valeur des ressources humaines, ils ont vu au XIXème siècle ce qu’il en est des ressources humaines et ceci par le biais du groupe qui était ravalé à presque rien, les esclaves. Bravo, bravo, bravo ! Ex Africa Semper Ali quid Novi.
Votre mot de fin Professeur
Mot de fin, c’est surtout pour remercier l’initiateur de cette interview, pour le remercier d’avoir tenu à ce panafricanisme parce que vous savez d’aucuns peuvent dire qu’on ne cesse de répéter, répéter. On ne répètera jamais assez ce qu’il convient de faire au point de vue du panafricanisme, dire aux gens, n’est-ce pas dire à la jeunesse comment il faut aller dans ce sens car surtout au niveau de nos responsables politiciens – car nous n’avons pas encore de responsables politiques – on n’a pas une conscience avérée de ce que représente le panafricanisme. Chacun veut, chacun croit, chacun pense se développer etc et c’est un échec regrettable. Bravo à l’initiateur de cette interview, voilà ce que nous avons à vous présenter et comme réponse à vos différentes questions, en tout cas ce que nous avons à dire c’est qu’il faut toujours aller de l’avant. Il faut toujours aller plus haut pour ce travail qui est fait par « L’Autre Afrique ». On ne peut que dire Duc in Altum ! Allez toujours plus haut, allez toujours de l’avant ! Voilà.
Réalisation : L’Autre Afrique
Le Professeur Honorat Aguessy fut le Directeur-Fondateur de l’IDEE, Ancien chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique à Paris, Ancien Directeur de la Recherche Scientifique et Technique au Bénin, Ancien Directeur du Programme UNESCO pour l’Afrique d’Enseignement Supérieur et de formation des personnels de l’Education, Doyen honoraire et fondateur de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines, Président du Centre d’Education à distance, Fondateur/Directeur du Laboratoire de Sociologie, Anthropologie et d’Etudes Africaines, Président de la commission nationale indépendante de mise en œuvre du MAEP (African Peer Review Mechanisme) et Président du Conseil Mondial du Panafricanisme