LA MEDIATION DANS L’ESPACE OHADA : ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
La longue durée des procédures judiciaires, leur coût onéreux, les problèmes de compréhension des thèmes judiciaires amènent les usagers du droit, les personnes physiques et morales à s’interroger sur le rôle de la justice et sa finalité.
Par COCOU Privat
C’est cet éloignement des justiciables de la justice qui pousse le législateur à développer le recours aux modes amiables de règlement des différends pour remédier aux insuffisances des tribunaux et cours d’appel d’une part et pour envisager les litiges autrement en permettant aux parties de résoudre elles-mêmes leurs conflits en étant les acteurs d’une solution délibérément voulue et librement pensée.
C’est dans ce cadre que, l’Acte Uniforme relatif à la Médiation ( l’AUM) a été adopté le 23 Novembre et entré en vigueur le 15 mars 2018. Ce texte constitue le dixième texte de droit uniforme adopté par l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA.)
En effet, l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) est une organisation intergouvernementale d’intégration juridique. Instituée par le traité du 17 octobre 1993 signé à Port-Louis (Ile Maurice), tel que révisé le 17 octobre 2008 à Québec (Canada), cette organisation regroupe à ce jour 17 pays africains (260 millions d’habitants) et reste ouverte à tout État membre de l’Union africaine, voire à tout Etat non membre de l’Union africaine qui serait invité à y adhérer du commun accord avec des Etats membres.
L’OHADA a été créée dans un contexte de crise économique aigüe et de chute drastique du niveau des investissements en Afrique, l’insécurité juridique et judiciaire étant alors identifiée comme cause majeure de défiance des investisseurs. Afin d’y remédier, l’OHADA a reçu pour mission de rationaliser l’environnement juridique des entreprises afin de garantir la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques, dans la perspective de stimuler l’investissement et de créer un nouveau pôle de développement en Afrique. Dans l’optique de parvenir à ses objectifs l’OHADA a élaboré un droit des affaires commun pour ses Etats membres qui est contenu dans des Actes uniformes tels que l’Acte Uniforme relatif à la Méditation.
l’Acte Uniforme relatif à la Médiation (AUM) constitue le dixième texte de droit uniforme adopté par l’OHADA. Ce nouveau texte, vient pallier le vide législatif qui existait dans la plupart des Etats membres de l’OHADA sur la médiation, mode amiable de règlement de différends.
D’un point de vue comparatif, le droit de l’Union Européenne encadre la médiation dans sa directive 2008/52/CE. Dans son article 3 la directive européenne définit la médiation comme : « un processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur. Ce processus peut être engagé par les parties, suggéré ou ordonné par une juridiction ou prescrit par le droit d’un État membre »
La médiation, une pratique traditionnelle en quête de modernité
La médiation constitue un mode alternatif de règlement amiable de conflit utilisé depuis fort longtemps en Afrique subsaharienne. Il s’agissait de la réunion au-dessous de « l’arbre à palabre » sous l’égide du chef canton ou du chef du village qui écoutait les parties en conflit tout en tentant de les réconcilier. Le succès et l’enracinement de ce processus traditionnel de règlement de conflit reposait sur le respect et la crainte de la tradition, les us et coutumes des litigants ainsi que sur les pouvoirs ancestraux du médiateur traditionnel.
La médiation permettrait d’endiguer la violence et, partant de préserver l’harmonie du village. Aujourd’hui, la médiation dépasse les frontières des villages pour s’inviter dans le règlement des crises politiques, militaires et des affaires civiles et commerciaux.
Malgré cette pratique ancestrale de la médiation, celle-ci peine à se généraliser, en sa forme moderne dans le contexte des sociétés judiciarisées où le droit écrit prévaut, dans les Etats membres de l’OHADA, en dépit de l’existence d’une base juridique commune à la suite de l’adoption de l’AUM de 2017.
La médiation se présente comme une forme de justice souple, confidentielle, plus rapide et moins coûteuse que la justice étatique et arbitrale. Le nouveau texte détermine les principes directeurs de la médiation tout en encadrant la procédure de celle-ci, notamment son déclenchement, son déroulement et son dénouement.
Le législateur a opté pour une définition large de la médiation qui est traitée dans l’article 1er de l’AUM et qui définit la médiation comme : « tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci‐après le « différend ») découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des Etats ».
Par ailleurs, il est précisé que la médiation peut être mise en œuvre par les parties ou sur la demande/invitation d’une juridiction étatique, d’un tribunal arbitral ou d’une entité publique compétente.
La médiation est gouvernée par des principes directeurs et par des règles encadrant les échanges entre le médiateur et les parties.
Il s’agit des principes garantissant le respect de la volonté des parties, l’intégrité morale, l’indépendance, l’impartialité du médiateur, la confidentialité et l’efficacité du processus de médiation (Art. 8).
En outre, le médiateur doit s’assurer que la solution envisagée reflète la volonté des parties et est conforme à l’ordre public. Durant la médiation, le médiateur est autorisé à rencontrer les parties ainsi que communiquer avec elles, soit ensemble, soit séparément.
Dans le cas d’une rencontre effectuée séparément, le médiateur doit toutefois informer l’autre partie ou son conseil au préalable ou le plus rapidement possible après son entretien. Les informations reçues de la part d’une partie par le médiateur peuvent être révélées à l’autre partie sauf si les informations ont été données sous la condition expresse de demeurer confidentielles (Art.9).
La possibilité que des informations demeurent confidentielles semble porter atteinte au principe du contradictoire En effet, il est possible de se demander si le fait qu’une partie au conflit accepte une solution considérée comme amiable dans l’ignorance d’une information qui, si elle en avait connaissance, lui aurait permis de prendre sa décision en toute connaissance de cause reflète exactement la volonté de cette partie.
Qui plus est, les informations relatives à la procédure de la médiation doivent rester confidentielles auprès des tiers, excepté si les parties ont convenu qu’elles pouvaient être divulguées ou que la loi ou la mise en œuvre de l’accord de médiation exige que ces informations soient divulguées (Art. 10).
Les obstacles au développement de la médiation dans l’espace OHADA
La volonté du législateur de développer la médiation n’est pas allée jusqu’au bout. En effet, la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) qui est l’organe juridictionnel suprême pour toutes les questions concernant l’applications des Actes Uniformes n’a pas prévu de service de médiation pour les parties en litiges alors qu’elle met un centre d’arbitrage à leur disposition. Alors que les investisseurs, qu’ils soient africains ou étrangers, sont en quête d’un mode alternatif de règlement des litiges en dehors de l’arbitrage et du contentieux. Ceux-ci ont besoin de recourir à des centre de médiation reconnus, à même de fournir des médiateurs bien formés, outillés aux processus ainsi qu’aux pratiques juridiques, fiscales, économiques et commerciales à l’œuvre dans les dossiers.
La dépendance des structures de médiation locales des chambres de commerce et d’industrie.
C’est le cas du Centre d’arbitrage et de médiation et conciliation de la Chambre du commerce et d’industrie du Bénin ( CAMeC/CCIB) qui n’a pas une autonomie de gestion.
Certaines institutions régionales et sous-régionales telles que la Banque Africaine de Développement (BAD), l’Union Economique monétaire Ouest Africaine (UEMOA) pourraient être sollicitées à s’impliquer dans la création d’un siège pour un centre de médiation régional indépendant avec une autonomie de gestion.
Le manque de formation des médiateurs peut freiner l’essor de la médiation dans l’espace OHADA
Le législateur OHADA n’a pas penché sur cette question, qui est pourtant au cœur de l’ERSUMA ( Ecole Régionale de Magistrature des Etats membres de l’OHADA)- la formation des professionnels du droit ( Juges, avocats, notaires, huissiers, greffier, consultant juridique…) et la sensibilisation des responsables juridiques des entreprises, constituant à ce titre un levier important pour le développement de la médiation dans l’espace OHADA.
Or celle-ci demeure mal connue des praticiens et des justiciables, qui en perçoivent mal l’intérêt et ne sont pas en condition de faire évoluer leur pratique en l’y intégrant naturellement et en connaissance de cause.
Les espoirs de l’essor de la médiation résident aujourd’hui principalement dans le secteur privé plus que dans le milieu judiciaire.
Perspective
Outre la résolution des différents individuels, la médiation constitue un véritable outil d’émancipation pour les individus qu’ils soient africains ou étrangers par rapport aux relations qu’ils entretiennent avec les structures de pouvoir (politique, économique, financier, social) dans lesquelles ils peinent de plus en plus à se reconnaître et pour lesquels ils éprouvent qu’une confiance relative.
La médiation est synonyme de réappropriation de leurs conflits par ses protagonistes, à même de porter une vision positive sur celui-ci et de corriger certaines injustices sous-jacentes. Ainsi, l’essor de la médiation participe d’une transformation de la société mais aussi de la modernisation de sa gouvernance.
La médiation pourrait ainsi accompagner le processus de transformation économique et social à l’œuvre dans l’espace OHADA et au-delà, en Afrique, terre d’inspiration qui suscite un engouement croissant.