Élections africaines : La hantise d’un mandat de trop
Par Romuald Boko
Qu’il soit clair et sans ambages que depuis que des coups d’état ont commencé à crépiter en Afrique en réponse à des « mandats de trop », certains éternels au pouvoir ont perdu leur profond sommeil, leur quiétude et leur sérénité. Qu’il s’appelle Biya, Sall, Gnassingbé, Ouattara, Kagamé ou Omar el-Bechir, personne ne semble être aujourd’hui à l’abri d’un coup d’état militaire versus coups d’état constitutionnels. Évidemment.
Une démocratie inachevée…
La démocratie représentative telle qu’elle est théorisée en Afrique en général et dans l’espace francophone ouest africain en particulier est loin de combler les attentes nées des conférences vives déclenchées par le Bénin dans les années 90.
En effet, ces glorieuses années 90 où l’Afrique de l’Ouest a connu des expériences démocratiques, enthousiastes, euphoriques, populaires restent de bons souvenirs car, depuis deux décennies environ, l’on assiste malheureusement à un grave recul de démocratie et de fonctionnement de l’état de droit et des droits humains. En clair, beaucoup de pays africains ont connu un net recul en ce qui concerne la participation citoyenne à la politique et l’État de droit.
Si la démocratie peut être banalement définie comme la mise en œuvre de la souveraineté du peuple, elle se fragilise dans son fonctionnement. Les errements démocratiques et électoraux au Togo, puis récemment en Guinée Conakry et Côte d’Ivoire versent dans le « césarisme démocratique » comme voie de salut pour le continent faisant resurgir le vieux populisme africain représenté́ par le « Père de la Nation » pour répondre l’expression de Pierre ROSANVALLON.
Les multiples cas de rebondissements et d’inventions dans l’exercice de la démocratie, les différents problèmes posés par le jeu de ses variables d’exercice et surtout ses indéterminations montrent à suffisance que la démocratie est structurellement problématique, et donc partant de ce fait qu’elle est structurellement inachevée.
Les nouvelles formes de coup d’état en Afrique
Depuis plus d’une décennie, la géographie de conflictualité s’est déplacée de la région des grands lacs vers l’Afrique de l’Ouest. En effet, les compétitions électorales sont devenues de lancinants points de discordes allant de simples contestations aux guerres civiles. Et, à l’approche de chaque épisodes électoraux, l’inquiétude nait, grandit et se généralise partout.
Depuis peu, un nouvel scénario s’observe dans la sous-région. Le 3eme mandat, une folie meurtrière qui risque de précipiter toute la région dans le chaos.
Que’ est-ce qui pourrait justifier une telle imposture intellectuelle ?
Comme beaucoup de chefs d’état semblent le dire, mieux vaut s’accrocher quitte à mourir au pouvoir pour préserver, non seulement sa tête, mais aussi les intérêts de la famille et de son clan. Cette façon farfelue de simplifier la vie démocratique et les enjeux électoraux est de nature à perturber non seulement la quiétude du pays mais surtout la stabilité de la région.
C’est d’ailleurs en prévention à ces situations et pour inciter des chefs d’état à quitter le pouvoir pacifiquement qu’en octobre 2019, plusieurs anciens chefs d’État et des constitutionalistes de renommée mondiale s’étaient retrouvés à Niamey dans le cadre d’une Conférence internationale sur le Constitutionalisme et la Consolidation de la Démocratie en Afrique. Nicéphore Soglo du Benin, Goodluck Jonathan du Nigeria, Mahamane Ousmane, ancien président du Niger, ainsi que l’ancienne présidente du Liberia Ellen Johnson Searlef sont invités à la réunion.
L’état des lieux montre qu’en Afrique, 35 pays ont limité les mandats, 12 n’ont aucune limitation, six ayant aboli la limitation et deux ayant modifié la limitation.
Le tableau des 54 États du continent montre globalement aujourd’hui, qu’il y a presque autant de démocraties défectueuses que de régimes autocratiques, constata Le professeur britannique Nic Cheeseman.
Il faut rappeler qu’à la fin de 2019, quatorze chefs d’État africains étaient au pouvoir depuis plus de vingt ans.
Le Niger se prépare à des élections présidentielles en 2021 au cours desquelles interviendra pour la première fois, une passation du pouvoir entre deux présidents élus
En Guinée malgré la contestation sanglante contre un troisième mandat et le rappel de la Cedeao, rien n’a semblé faire fléchir le Président Condé. A 82 ans, Alpha Condé a modifié la Constitution, lui ouvrant ainsi un boulevard pour ‘’son’’ troisième mandat.
Au Sénégal, le président Macky Sall qui, n’a jusqu’ici, dit son intention de se présenter pour un troisième mandat, laisse la situation pourrir dans son pays. En janvier, il avait ouvertement déclaré qu’il ne se prononcera pas faisant valoir un statut du ni oui, ni non.
En Côte d’Ivoire, le Président Ouattara à 78 ans, a eu son hypothétique troisième mandat avec son cortège de crises post-électorales.
Ce tableau sombre qui dissimule les nouvelles formes de coup d’État constitutionnel et de coup d’Etat électoral est une régression démocratique. Hélas !
Et pourtant des voies diplomatiques existent pour inciter aisément les chefs d’Etat africains à quitter le pouvoir pacifiquement.
Selon l’ancien chef de la diplomatie mauritanienne et ancien haut fonctionnaire de l’ONU, Ahmedou Ould Abdallah, il faut offrir aux anciens chefs d’Etats une amnistie conditionnelle, valide tant qu’ils restent dans leurs pays. Il suggère qu’une pension généreuse leur soit accordée, en même temps que divers avantages pour que leur sécurité matérielle soit durablement assurée. Le tout avec les honneurs protocolaires liés à leur statut d’anciens présidents.
Cette recette pour un départ en douceur pourrait rencontrer une fin de non recevoir de la part des partis d’opposition qui généralement restent dans une dynamique de chasse aux sorcières.
De toute évidence, cette démarche coûterait moins cher aux pays que les pillages auxquels ces chefs d’Etats s’adonnent aujourd’hui.
Somme toute, la démocratie actuelle est indiscutablement à la fin d’un cycle long, celui du « déclin de la volonté », volonté politique qui est au cœur du type idéal démocratique.
Retour des coups d’Etat
L’alerte de Bamako semblait donner un signal fort aux présidents africains qui s’accrochent au pouvoir. En réponse aux coups d’état constitutionnels, surviennent des coups d’état militaires.
Les récents événements en Guinée, qui ont conduit à l’éviction du président Alpha Condé par l’armée sont des sérieuses alertes qui doivent éveiller tous les présidents africains qui ne respectent pas la limitation des mandats constitutionnels.
Le Mali voisin a connu deux interventions de l’armée en moins d’un an, la plus récente en mai.
Au Niger, un coup d’État a été déjoué en mars, quelques jours seulement avant l’inauguration présidentielle.
La résurgence des coups de force en Afrique – comme dans l’Afrique post-coloniale – interpelle les pouvoirs politiques en premier chef et la classe élitaire africaine dans une certaine mesure. Les tripatouilleurs constitutionnels africains doivent cesser d’offrir au monde ces spectacles désolants qui font intervenir des militaires en plein processus démocratique librement consenti.
Bien avant….
Avant ces récents événements en Guinée, au Mali et au Niger, une série de chefs d’État africains avait déjà été contraints d’abandonner le pouvoir sous la pression du peuple ou de l’armée.
En Algérie, après un mois de contestation ‘’Hirak’ contre sa candidature à un cinquième mandat’, Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans, et très affaibli depuis un AVC en 2013, démissionne
La Nation arc-en-ciel a vu démissionner en Février 2018 sous la menace d’un vote de destitution et sous la pression de son parti, l’ANC, le Président Jacob Zuma au pouvoir depuis mai 2009.
Omar el-Béchir au Soudan au pouvoir depuis 30 ans a été destitué par l’armée après quatre mois d’un mouvement de contestation populaire
Quant au Zimbabwe, le Président Mugabe, lâché par ses soutiens et l’armée après 37 ans de règne, présente sa démission.
Faut-il encore rappeler le cas du Amadou Toumani Touré, accusé d’incompétence » renversé par le capitaine Amadou Sanogo ? Le président par intérim de la Guinée-Bissau, Raimundo Pereira et son premier ministre Carlos Gomes Junior, entre les deux tours d’une élection présidentielle contestée ont été balayé par un push.
Nous avons encore souvenance du cas centrafricain oú le François Bozizé a été renversé par les rebelles de la Séléka. Michel Djotodia qui s’est auto sera à son tour chassé du pouvoir.
En Égypte, Mohamed Morsi, successeur d’Hosni Moubarak et premier chef d’Etat issu d’un scrutin démocratique est renversé par le général Abdel Fattah al-Sissi.
Au pouvoir depuis 27 ans, Compaoré a dû démissionner, sous la pression de la rue.
L’immolation par le feu d’un marchand excédé par la pauvreté et les humiliations policières avait déclenchée en Tunisie en 2011, le printemps arabe avec pour conséquences immédiates, la démission de Président Ben Ali du pouvoir et d’Hosni Moubarak en Égypte après 18 jours de révolte.
Ce qui n’a guère épargné le guide libyen Mouammar Kadhafi, tué le 20 octobre 2011 à Syrte, confronté à un soulèvement transformé en conflit armé sous les bénédictions Sarkozy.