Coup d’état au Niger : Un clou chasse l’autre
Pour une fois…
Si la situation n’était pas lourde de dangers pour les populations, on pourrait rire de cet épisode burlesque où l’impérialisme français se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé : un coup d’état dont il fait les frais et dans lequel il n’a aucune responsabilité…pour une fois.
On s’était en effet tellement habitué, depuis les indépendances, à retrouver l’ombre portée de la France derrière chaque changement de marionnettes à la tête des états de la « zone française », ou dans la violence de putschs et autres coups tordus, ou par une « diplomatie adaptée ».
Un véritable système, mis en place par De Gaulle et sa garde rapprochée, tactique dédiée au maintien de l’influence française, appelée aussi la « françafrique » elle fera la pluie et le beau temps jusqu’à des temps très récents dans des pays littéralement vassalisés et gardera l’hégémonie tutélaire de l’impérialisme français sur tous les pays de l’ex AOF et au-delà.
S’agissant précisément du seul Niger, la liste est longue de ces menées françaises depuis l’indépendance.
Ne serait-ce qu’à Niamey, par exemple, personne ne saurait oublier les coups d’état à répétition qui se sont produits depuis 1960, ni celui de 1974, ni celui de 1996 et ni celui enfin, de 2010 .
Et voici donc que, « pour une fois », clairement, la France n’est pour rien dans ce putsch qui a conduit au renversement de Mohamed Bazoum. Elle saurait d’autant moins en être soupçonnée qu’après ses déconvenues « diplomatiques » au Mali et au Burkina Fasso c’est justement dans le Niger du président Bazoum, grand ami affiché de la France et aussi, et surtout, grand « ami personnel » d’Emmanuel Macron, que la France avait trouvé refuge pour stationner ses forces armées après que le Mali et le Burkina avaient vertement fait savoir qu’ils en souhaitaient le départ sans délai.
Chaises musicales et tragi-comédie
C’est dans une situation politique et institutionnelle Nigérienne, dans un des pays les plus pauvres du continent, déjà marqué de longue date par une instabilité chronique et un autoritarisme lié aux institutions elles-mêmes, que Mohamed Bazoum se retrouve élu à la présidence en 2020. Malgré un contexte où, en politique, le clientélisme le dispute à la corruption, le président Bazoum peut toutefois se prévaloir dès lors, d’une victoire obtenue suite à la tenue d’élections démocratiques.
De fait, dès le lendemain du scrutin, les chancelleries occidentales ne manquaient pas de s’enthousiasmer. Avec bonheur, expliquaient-elles, voyait-on en terre africaine, dans un grand pays, un président « démocratiquement élu » avec, on s’en doute, la France comme chef de la chorale.
On peut aisément supposer que ce concert de louanges unanime à la « démocratie nigérienne » était d’autant plus motivé que le champion de cette démocratie se trouvait être un grand ami de la France, de l’UE et des USA.
A ce jour, le président Bazoum est « consigné à résidence », autrement dit non emprisonné mais privé de sa liberté de mouvement. Par privé en revanche de sa liberté d’expression puisqu’on a appris qu’il avait communiqué avec des chancelleries extérieures et des dirigeants occidentaux dont Emmanuel Macron en personne et il a pu enfin, s’exprimer longuement dans les colonnes du Washington post. Il ressort de tous ces entretiens que, refusant de démissionner, il ne reconnaît pas le coup de force de la junte et se considère toujours comme le président de la république et seul représentant politique légitime du Niger.
De son côté, à plusieurs reprises, Abdouramane Tchiani, le chef de la junte, exprime dans ses communiqués et prises de parole, que la prise du pouvoir était rendue nécessaire au vu, d’une part, de l’impuissance de l’état à contrecarrer les menées djihadistes ainsi que, d’autre part, par le fonctionnement clientéliste et corrompu de l’administration jusqu’au sommet de l’état. Dont acte. On pourrait même dire qu’il s’agit davantage d’un constat que d’une accusation. En revanche, ce qui discrédite grandement et définitivement ces propos, c’est le poste occupé par Abdouramane Tchiani lui-même jusqu’à la veille du Putsch et qui semblait parfaitement lui convenir dans la mesure où on n’avait jamais entendu, même le son de la voix de Monsieur Tchiani auparavant.
En effet, ce personnage commandait, ni plus ni moins, la Garde présidentielle, poste qui lui permettait, on s’en doute, d’en connaître un rayon tant sur la faillite militaire que sur la corruption au sein de l’appareil d’état. Impossible même d’imaginer que, durant toutes ces années, il ne fut lui-même un acteur de ce système politico-maffieux de prédation et de complicité avec les puissances économiques et politiques extérieures.
Quand on sait ensuite que la décision du coup d’état est prise au lendemain de la décision du président Bazoum de le démissionner de son poste de Commandant de la Garde présidentielle, on comprend mieux, sans rire, les « motivations » d’Abdouramane Tchiani ainsi que le vide vertigineux de ses orientations politiques et économiques, lui qui n’en n’a jamais d’autres que celles dictées aux marionnettes installées et contrôlées par la françafrique.
Qui de neuf en fait ?
En cherchant attentivement, au milieu d’un salmigondis de déclarations confuses et diverses on pourrait toutefois apercevoir que cette junte cherche à se faire politiquement porter par le sentiment anti-impérialiste qui, après des décennies de spoliation et d’oppression quasi coloniale, a gagné la jeunesse sur l’ensemble du continent.
Pour autant, si la conscience anti-impérialiste de la jeunesse est profonde et réellement ancrée, si cette prise de conscience assume clairement les conséquences politiques de cet engagement à savoir l’expulsion sans indemnités des puissances prédatrices et le retour de l’Afrique aux africains, il n’en va pas du tout de même pour les putschistes militaires. En effet, à aucun moment, les juntes au pouvoir au Mali et au Burkina, par exemple, ont été bien incapables de mettre en oeuvre un seul centième de ce programme. tout au contraire.
Tous ces petits aventuriers sans envergure, politiquement incultes pour la plupart, « formés » sous le harnais de leurs maîtres de l’ancienne puissance coloniale, n’ont d’autre obsession que de faire régner le calme. Tout au long de ces années, leurs conseillers leur ont bien enseigné, et montré, qu’on ne peut bien prospérer que dans le calme et surtout sans le peuple.
Ils font donc régner le calme de Bangui à Bamako et Ouaga et… ils font taire les peuples.
Les interventions extérieures vont contre les peuples
Les jours qui ont suivi le coup d’état, a côté de quelques banderoles dénonçant fort à propos la présence de la France au Niger, on a pu apercevoir quelques calicots pro-russes et, tout neufs, quelques drapeaux de la Fédération de Russie. Si le ressentiment populaire contre la présence des 1500 militaires français, logistique et armement, et contre la présence de Orano (ex Areva) qui continue à exploiter l’uranium, si, après des années de françafrique, de spoliation éhontée et de mépris, la mobilisation anti-française est légitime et rencontre même un mouvement de solidarité jusque sur le territoire français, qu’en est-il du jugement sur l’activité des mercenaires et autres armées privées, en vente libre sur le continent, vantées par les nouvelles juntes tant au Mali qu’au Burkina ou encore en Centrafrique ?
Est-on sérieux quand, pour bouter un impérialisme prédateur on propose de stipendier des bandes de mercenaires, prédateurs pour eux-mêmes et pour d’autres impérialismes en leur confiant les clefs du camion…et du coffre ?
Sauf complicité assumée, est-on sérieux en politique quand, sans aucune compréhension de ce qu’est un impérialisme, sans aucune connaissance des rapports de force internationaux, au nom d’un pseudo multipolarisme mal digéré, on se propose de livrer les pays, dont on a capté la charge, à un autre impérialisme et à ses brigands armés dont on sait que le premier « travail » sera de faire régner la répression sur les populations, les jeunes et les travailleurs ?
Il aurait suffit, pour s’en prémunir, d’avoir observé les « activités » pseudo militaires du groupe Wagner en Syrie écrabouillant dans le sang le printemps Syrien et remettre en place le boucher Assad.
Oui, en Syrie, Wagner a mené une guerre contre-révolutionnaire contre les intérêts du peuple, pour la survie de la dictature et la défense des intérêts de l’impérialisme russe.
Il aurait suffit aussi, pour mieux comprendre, d’observer les groupes russes et Wagner au Soudan, dont l’essentiel des « activités militaires » a consisté à mater dans le sang tous les cadres autonomes du mouvement populaire, les syndicats de travailleurs et les comités de quartiers. Ainsi, clairement, aux côtés des janjavids et de l’armée du pouvoir, Wagner a également mené au Soudan une guerre contre-révolutionnaire au bénéfice immédiat, encore une fois, de l’impérialisme russe.
Et c’est donc malgré, ou sans doute à cause, de ces précédents, que Goïta, pour instaurer au Mali une dictature dont il sera le chef confiera à Wagner le soin d’assurer sa…Défense Nationale (!), pourtant mission régalienne s’il en est. L’argument avancé par Goïta étant d’aider le Mali à faire face aux Djihadistes fera long feu. En effet, alors que c’est le Mali tout entier qui est sujet à une effervescence sociale et à une importante maturation politique, Wagner, une fois encore et comme partout, servira de force majeure pour, par la terreur, « rétablir l’ordre ». C’est ainsi qu’en 2022 , avec les méthodes coloniales meurtrières des temps passés, Wagner se livrera, à Moura, au massacre horrible de 500 villageois, Peuls pour la plupart.
Ainsi, de massacres en terreur, alors que les djihadistes sont aujourd’hui aux portes de la capitale, avec Goïta et ses supplétifs de Wagner, l’ordre impérialiste règne à Bamako.
Une opération de chaises musicales : Soumission à l’impérialisme russe contre soumission à l’impérialisme français. Les mouches ont juste changé d’âne.
Wagner avait déjà fait main basse sur la Centrafrique où, terrorisant ouvertement les populations, il s’est emparé des mines d’or que, depuis, il exploite directement et gère désormais les brasseries du pays. le système Wagner, agissant pour le compte de l’impérialisme russe, fonctionne à peu de choses près comme fonctionnait le système colonial pré-indépendance, à savoir se payer directement sur la bête sans intermédiaire.
Le Burkina, dans une situation beaucoup plus tendue du fait de la présence accrue des Djihadistes sur son sol, de la propagation massive de leurs idées conjuguées à l’effondrement quasi complet des services publics majeurs tels que l’école et la santé et de la totale faillite militaire contre les rebelles, se retrouve à son tour plongé dans la tourmente autoritaire avec à sa tête un Ibrahim Traoré qu’on pourrait qualifier de pâle imitation de Goïta.
Ni CEDEAO, ni intervention militaire extérieure !
Aujourd’hui, vendredi 11 août, la CEDEAO dit mettre en oeuvre et mobiliser les moyens pour une intervention militaire visant à mettre un terme à l’exercice du pouvoir par la junte et le rétablissement de Bazoum dans ses fonctions.
Par-delà les rodomontades et les postures de circonstances de cette CEDEAO il n’en reste pas moins que, en l’espace de quelques temps, l’Afrique de l’Ouest est devenue une véritable poudrière. Dans cette situation extrêmement tendue, on voit clairement que la France, prise de vitesse, et visiblement surprise, par le renversement de Bazoum, appuyant dès le départ l’option militaire cherche à reprendre la main et, pour ce faire, attise le feu en soufflant sur les braises. Elle fait donc pression par tous les moyens à sa disposition, et ils sont nombreux, notamment économiques poussant ouvertement les pays de la CEDEAO à la confrontation armée.
Cette attitude est très loin d’être neutre lorsqu’on sait que d’une part, la France ne reconnait aucune légitimité aux putschistes faisant notamment valoir sa proximité avec la « démocratie nigérienne » et que d’autre part, elle a maintenu intactes ses forces armées sur le territoire, expliquant même ce jour, que si la CEDEAO décidait l’intervention, elle pourrait fournir une participation logistique.
On voit donc clairement que, malgré ses faiblesses désormais avérées, pour maintenir ses intérêts économiques au Niger et garder la main-mise sur ce qu’il reste de la françafrique, l’impérialisme français est prêt à allumer la mèche qui pourrait déclencher l’incendie d’une terrible guerre dans toute la sous-région.
La situation est d’autant plus tendue que les putschistes nigériens sont soutenus par les juntes à Ouaga et à Bamako qui, avec la Centrafrique et la Guinée pourrait constitué le bloc qu’on pourrait qualifier de wagneriste, Poutine ayant, dans cette affaire, appelé dès le début au respect des institutions et au retour au calme.
Non à la guerre !
Alors que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigéria menacent de parachuter des troupes sur Niamey, le Burkina et le Mali déclarent qu’ils considéreraient cette intervention comme un casus belli et se mobiliseraient aux côtés des putschistes.
Il suffit pourtant de tendre l’oreille dans les rues de Cotonou ou de Lomé pour comprendre pourquoi les populations ne veulent pas de cette guerre. Sachant que dans toute cette région les frontières, héritage 100% colonial, n’ont de frontières que le nom et que des milliers et des milliers d’habitants vivent quotidiennement de part et d’autre ou sont transfrontalières, elles la considèrent déjà comme fratricide.
Ni la jeunesse, ni les travailleurs n’ont d’intérêts à défendre dans cette conflagration. Pour cette raison le mouvement anti-guerre ne va pas manquer de prendre corps et s’amplifier pour barrer la route aux fauteurs de troubles.
Momentanément stoppé par les putschs, le mouvement populaire reprendra sa marche en avant et saura débarrasser les pays de tous ces apprentis dictateurs, caricatures grotesques du personnel précédent, éternellement soumis aux impérialistes français.
Il saura débarrasser les pays encore inféodés des restes toxiques de la françafrique, de ses coups tordus, de sa domination économique et militaire comme du franc CFA.
Il saura aussi déjouer tous les mensonges vénéneux visant à faire de Wagner le champion de la lutte anti-impérialiste alors que ces armées privées, sans idée ni pensée, ne sont que la pointe avancée de l’impérialisme russe qui ne cherche qu’à remplacer l’impérialisme français pou faire exactement la même chose : dominer, terroriser et piller.
Par François Charles & Romuald Boko
L’Autre Afrique